jeudi 25 décembre 2008

Intégrité en Espace Vide

Intégrité en espace Vide est, en réalité, un extrait d'une nouvelle plus importante, et inachevée, Evolvum. Si la présente nouvelle se suffit à elle-même telle qu'elle a été écrite, la toile de fond se trouve être une de mes premières grosses nouvelles. Mes premiers pas en matière de science-fiction lorgnant sur le cyberpunk. Toutefois, à force de l'abandonner, de la reprendre, pour la laisser tomber à nouveau, la nouvelle commença à ressembler à un patchwork témoignant de ma progression littéraire, en matière de récit comme de thématique, donc finalement, intéressant pour moi à parcourir, mais d'une qualité globale... enfin, cela demanderait du boulot à reprendre intégralement. Mais qui sait, Evolvum n'a peut-être pas dit son dernier mot !


Intégrité en Espace Vide


Une lumière se mit à clignoter avec frénésie sur le tableau de bord, bientôt relayée par une constellation de lumières semblables, accompagnées de « bip » tout aussi bruyants. Et qui réveillèrent enfin Gregory Peck, qui grogna en réponse. D’un revers bien senti de la main, il réduisit au silence l’infernale sirène, puis se redressa en jurant. Choc. Comme à chaque début de cycle, son front heurta le panneau de contrôle vissé à l’horizontal au-dessus de sa couche étroite. Et comme à chaque début de cycle, Peck songea à dormir, à sauter un cycle pour attendre le suivant. Mais non, pas le temps. Se poussant de la paume des mains sur l’encadrement de sa cellule de repos et, selon les lois de la gravité, il s’expulsa dans le boyau menant aux commandes. D’abord un court passage par le tube d’hygiène, qu’il pénétra après avoir laissé ses habits en suspens dans l’exigu corridor. Un « clip » furtif, et une voix grésilla. Selon l’orbite, Peck supposa qu’il devait capter les émissions du Conglomérat Economique de la Côte Est d’Amérique du Nord. La voix s’emporta, s’exclama : « La Nouvelle du Jour vous est annoncé par la Soyo Corp. : Son Excellence Lance Abernach de l’Eglise de Gaïa viendra apporter sa collaboration à la Conférence de la Théoriginie qui se tiendra à New York ! Alors, ça, c’est pas de la nouvelle, hein ? - Jingles.- » C’était bien le Con-Eco de la Côte Est. Une fine pellicule adhésive se colla à sa peau, projetée par les valves clairsemant la paroi circulaire. De ces mêmes valves jaillit de l’eau, de courts jets sous pression qui firent mousser la pellicule. Le tout disparut bien vite dans le goulot. Pour être purifié en vue d’une nouvelle utilisation, un cycle plus tard.


Peck éteignit la radio et attrapa son caleçon flottant tout en allant au tableau, assemblage de couleurs, de lumières, de câbles et de bruits vibrants et toussant, grondant vulgairement, sans harmonie. C’était son quotidien, ces images frémissantes sur les écrans pris dans les toiles de fils électriques. Toutes ces conneries, elles auront mes yeux. Un cycle, je vais me réveiller et ce sera le noir. Plus rien. Ma cornée bousillée, mes rétines agonisantes, voilà ce que ce sera. Et j’arriverai jamais à trouver le com terrestre pour prévenir la base en bas. Avec ces foutues rotations, j’arriverai même pas à sortir de mon tube-couchette. Ils me relayeront. Ils changeront d’opérateur orbital, mais jamais à temps. Je serai une putain de carcasse desséchée, avant qu’un suppléant n’arrive avec les secours, ou même sans. Y’a tellement d’opés qui se balancent dans l’espace et dont on retrouve rien. Et les stations-relais restent vides. Ces saloperies qui sont à présent équipées de système automatique de fermeture et dépressurisation. Toute la machinerie se mettra en veille, attendant 5 jours ou 5 siècles s’il le faut l’opérateur suivant. Oh, il y avait bien une aide psychologique, une voix désincarnée dans le com terrestre et qui vous parle, calme et sereine, vous assurant que vous n’êtes pas seul perdu dans l’espace. Que vous êtes un chic type et que la station où vous êtes enfermé est en fait une coquille douce et bienveillante qui vous protège en son sein accueillant. Peck frissonna. Tout ce qu’il avait été foutu de faire, c’était de raconter au psy de l’autre côté du micro son rêve. Un rêve récurant, plutôt courant chez les opés orbitaux, selon son interlocuteur. Dans son rêve, les parois de la station étaient arrachées à la structure métallique dans une espèce de hurlement dû aux changements de pression et se retrouvaient happés dans l’espace. Et lui était projeté avec, dans l’espace. Un espace sans étoiles, sans planètes, sans soleil. Il était seul, dans un noir infini, il flottait juste, avec la conscience de lui-même en train de flotter, d’errer dans ce vide parfait, sans bruit, sans présence. Sans rien. Il se réveillait souvent en sueur à ce moment-là, tout tremblant. Cet instant où il prenait conscience qu’il n’existait rien. Rien ni personne. Juste la solitude. L’éternelle solitude.


Il se cala dans son fauteuil, attachant la ceinture pour ne pas décoller subrepticement durant son travail et attrapa son pantalon, qui venait à sa rencontre. Ce souvenir l’avait à présent pétrifié et il souhaitait s’en défaire en se plongeant dans le relais. C’était ce froid qui accompagnait la prise de conscience, cette matérialisation thermique qui lui dégoulinait le long de l’échine, comme un doigt posé sur l’erreur universelle. Il en avait parlé à un autre oporb du Con-Eco nord-eurasien, Jah, une fois, mais ce dernier lui avait donné une étrange interprétation de ce rêve, qu’il faisait aussi. « Allo ? Greg ? dit une voix dans les haut-parleurs, tandis qu’à l’écran apparaissait un visage au nez empâté et aux lèvres pleines. Merde, pensa Peck, j’ai dû composer ses coordonnées sans même m’en rendre compte. Je vais pas lui raccrocher au nez, maintenant… « Ouais, c’est bien moi, salut Jah
- Tu tire une sale tronche, ça va pas, man ? demanda Jah de son ton traînant.
- Je viens de prendre mon cycle.
- Et il t’a pas loupé.
- J’ai encore fait ce rêve, tu sais, celui dans le noir, avoua Greg en plissant la bouche.
- Et tu le flippes encore ? il est pourtant pas si effrayant. Moi, je le trouve même très bien, en fait.
- C’était quoi encore, ton histoire à ce sujet ? » Tant qu’à faire, autant le questionner, maintenant que la discussion était lancée. Peck se saisit d’un paquet de cigarettes et en alluma une. La fumée s’éleva et fut directement prise dans le purificateur d’oxygène, un filtre installé par la compagnie qui l’employait et dont l’utilisation était retenue sur sa paye. De vrais voleurs ! « Man, t’écoute pas ? C’est pourtant simple, le noir que tu vois, il est entier, sans limite, hein ? il est plein et vide à la fois, il ne comporte nulle erreur, nul doute ?
- On peut voir ça ainsi, ouais, fit affirmativement Peck, qui ne voyait pas la logique d’un tel développement.
- C’est le Tout-Originel, man, c’est Dieu que tu vois, c’est Sa présence, infinie et illimitée. C’est pour cela que tu ne vois rien, en fait. Il n’a pas de présence physique, sa force, sa totalité lui suffit à lui-même. Il se suffit à lui-même. Il est, tout simplement. Tu vois, man ? Dieu, c’est l’Espace, l’Espace Révélé.
- Mais… attends, tu veux dire que c’est… enfin, c’est illogique, pourquoi nous, on le verrait ?
- Parce que nous, on est dans l’espace, man, on est à son contact, au plus proche de lui. On raisonne au niveau de la galaxie, on est plus rattaché à l’esprit terrien.
- Mais si c’est bien lui, persévéra Peck, pourquoi ne nous a-t-il pas fait adapter à l’espace ? Pourquoi doit-on respirer de l’air pour survivre alors qu’on pourra vivre directement avec lui.
- Man, c’est des épreuves qu’Il nous envoie. Pour qu’on soit digne de Le voir. Ce sont ces épreuves que l’on a réussi, nous. On est les nouveaux moines, on est retiré, plus proche de lui pour pouvoir méditer et sentir Sa présence. » Peck se sentait tellement ignorant, dans ces moments-là. Il aurait bien voulu trouver les failles – il était convaincu qu’il en existait – dans ce raisonnement, mais il n’y parvenait. Il hocha la tête, salua Jah et raccrocha, prétextant le début de son temps de service, ce qui n’était pas totalement faux. Finalement, est-ce que cette façon de pensée était pire qu’une autre ? Elle semblait réussir à merveille à Jah. Il ne serait sans doute pas au nombre de ceux qui allaient un jour ouvrir le sas et se projeter dans la Grande Bouche. Et se retrouver pulvériser en moins de deux. Enfin, pour ceux qui ne mettaient pas leur combinaison. Pour les petits vicieux qui aimaient que ça dure, ils pouvaient mettre leur combinaison, débrancher le com sub-vocal et le localisateur qui bipait la Terre et lui envoyait les coordonnées de l’opé qui quittait sa cabine. Et ceux-là mourraient alors à petit feu. Personne n’irait les récupérer. Oh, ils apparaissaient bien sur les radars des vaisseaux qui faisaient la navette entre la planète et les satellites artificiels, mais qui pouvait faire la différence entre un corps et un morceau de tôle d’un chantier orbital quand il y avait tant de débris en état stationnaire autour de la Terre ? Ce n’était rien de plus qu’un point verdâtre sur l’écran. Et avec l’Assistant de Survivance connectée à la combi, cela devait bien prendre au moins 7 jours pour qu’ils finissent par mourir. Souvent de faim ou de soif. Au mieux, d’un disfonctionnement de l’appareil respiratoire. Dans ce cas, ils déliraient pour le reste du temps qu’ils vivaient encore. Peut-être voyaient-ils effectivement Dieu.


Peck regarda l’écran viré au noir, effaçant les traits de son interlocuteur. Et si sa réflexion était à prendre à l’envers ? Jah sous-entendait qu’un dieu est une entité figée dans le « non-agir », dissociée de la Création. Une entité qui ne vit que pour elle et par elle. Une personnalité dans l’infini, pleine et entière, libérée des contraintes matérielles et dont ne subsiste que l’essence pure. Alors ce rêve qui le projetait dans l’espace peut-être le plaçait-il en fait dans ce divin état. Peut-être était-il un dieu alors. A la vie sans limite, sans force extérieure, sans extérieur en fait. En communion avec lui-même. Un Dieu pour lui-même, voilà. Peck frissonna. Cela n’allait pas. Un bris de glace glissa le long de sa colonne vertébrale. Il savait à présent pourquoi Dieu avait créé les êtres humains. Par solitude sans doute. Parce qu’il n’est pas d’espace, ni de temps, que l’on puisse affirmer par sa propre identité. Il faut qu’il soit reconnu par une autre personne. Un Autrui. Ca rejoignait peut-être ce que disait Jah. Un Dieu qui aurait attiré à lui ses enfants, pour s’accomplir dans l’autrui, des milliards d’autrui prêt à se joindre à lui dans une communion universelle. Et nous ne serions qu’un ? Plus de Greg, ni de Jah, ni de Terre, juste Lui. Et à nouveau la solitude. Un nouveau cycle.

1 commentaire:

  1. J'espere bien qu'Evolvum n'est pas abandonné... Tu me le renvoie, dis dis dis ? :)

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