jeudi 25 décembre 2008

Intégrité en Espace Vide

Intégrité en espace Vide est, en réalité, un extrait d'une nouvelle plus importante, et inachevée, Evolvum. Si la présente nouvelle se suffit à elle-même telle qu'elle a été écrite, la toile de fond se trouve être une de mes premières grosses nouvelles. Mes premiers pas en matière de science-fiction lorgnant sur le cyberpunk. Toutefois, à force de l'abandonner, de la reprendre, pour la laisser tomber à nouveau, la nouvelle commença à ressembler à un patchwork témoignant de ma progression littéraire, en matière de récit comme de thématique, donc finalement, intéressant pour moi à parcourir, mais d'une qualité globale... enfin, cela demanderait du boulot à reprendre intégralement. Mais qui sait, Evolvum n'a peut-être pas dit son dernier mot !


Intégrité en Espace Vide


Une lumière se mit à clignoter avec frénésie sur le tableau de bord, bientôt relayée par une constellation de lumières semblables, accompagnées de « bip » tout aussi bruyants. Et qui réveillèrent enfin Gregory Peck, qui grogna en réponse. D’un revers bien senti de la main, il réduisit au silence l’infernale sirène, puis se redressa en jurant. Choc. Comme à chaque début de cycle, son front heurta le panneau de contrôle vissé à l’horizontal au-dessus de sa couche étroite. Et comme à chaque début de cycle, Peck songea à dormir, à sauter un cycle pour attendre le suivant. Mais non, pas le temps. Se poussant de la paume des mains sur l’encadrement de sa cellule de repos et, selon les lois de la gravité, il s’expulsa dans le boyau menant aux commandes. D’abord un court passage par le tube d’hygiène, qu’il pénétra après avoir laissé ses habits en suspens dans l’exigu corridor. Un « clip » furtif, et une voix grésilla. Selon l’orbite, Peck supposa qu’il devait capter les émissions du Conglomérat Economique de la Côte Est d’Amérique du Nord. La voix s’emporta, s’exclama : « La Nouvelle du Jour vous est annoncé par la Soyo Corp. : Son Excellence Lance Abernach de l’Eglise de Gaïa viendra apporter sa collaboration à la Conférence de la Théoriginie qui se tiendra à New York ! Alors, ça, c’est pas de la nouvelle, hein ? - Jingles.- » C’était bien le Con-Eco de la Côte Est. Une fine pellicule adhésive se colla à sa peau, projetée par les valves clairsemant la paroi circulaire. De ces mêmes valves jaillit de l’eau, de courts jets sous pression qui firent mousser la pellicule. Le tout disparut bien vite dans le goulot. Pour être purifié en vue d’une nouvelle utilisation, un cycle plus tard.


Peck éteignit la radio et attrapa son caleçon flottant tout en allant au tableau, assemblage de couleurs, de lumières, de câbles et de bruits vibrants et toussant, grondant vulgairement, sans harmonie. C’était son quotidien, ces images frémissantes sur les écrans pris dans les toiles de fils électriques. Toutes ces conneries, elles auront mes yeux. Un cycle, je vais me réveiller et ce sera le noir. Plus rien. Ma cornée bousillée, mes rétines agonisantes, voilà ce que ce sera. Et j’arriverai jamais à trouver le com terrestre pour prévenir la base en bas. Avec ces foutues rotations, j’arriverai même pas à sortir de mon tube-couchette. Ils me relayeront. Ils changeront d’opérateur orbital, mais jamais à temps. Je serai une putain de carcasse desséchée, avant qu’un suppléant n’arrive avec les secours, ou même sans. Y’a tellement d’opés qui se balancent dans l’espace et dont on retrouve rien. Et les stations-relais restent vides. Ces saloperies qui sont à présent équipées de système automatique de fermeture et dépressurisation. Toute la machinerie se mettra en veille, attendant 5 jours ou 5 siècles s’il le faut l’opérateur suivant. Oh, il y avait bien une aide psychologique, une voix désincarnée dans le com terrestre et qui vous parle, calme et sereine, vous assurant que vous n’êtes pas seul perdu dans l’espace. Que vous êtes un chic type et que la station où vous êtes enfermé est en fait une coquille douce et bienveillante qui vous protège en son sein accueillant. Peck frissonna. Tout ce qu’il avait été foutu de faire, c’était de raconter au psy de l’autre côté du micro son rêve. Un rêve récurant, plutôt courant chez les opés orbitaux, selon son interlocuteur. Dans son rêve, les parois de la station étaient arrachées à la structure métallique dans une espèce de hurlement dû aux changements de pression et se retrouvaient happés dans l’espace. Et lui était projeté avec, dans l’espace. Un espace sans étoiles, sans planètes, sans soleil. Il était seul, dans un noir infini, il flottait juste, avec la conscience de lui-même en train de flotter, d’errer dans ce vide parfait, sans bruit, sans présence. Sans rien. Il se réveillait souvent en sueur à ce moment-là, tout tremblant. Cet instant où il prenait conscience qu’il n’existait rien. Rien ni personne. Juste la solitude. L’éternelle solitude.


Il se cala dans son fauteuil, attachant la ceinture pour ne pas décoller subrepticement durant son travail et attrapa son pantalon, qui venait à sa rencontre. Ce souvenir l’avait à présent pétrifié et il souhaitait s’en défaire en se plongeant dans le relais. C’était ce froid qui accompagnait la prise de conscience, cette matérialisation thermique qui lui dégoulinait le long de l’échine, comme un doigt posé sur l’erreur universelle. Il en avait parlé à un autre oporb du Con-Eco nord-eurasien, Jah, une fois, mais ce dernier lui avait donné une étrange interprétation de ce rêve, qu’il faisait aussi. « Allo ? Greg ? dit une voix dans les haut-parleurs, tandis qu’à l’écran apparaissait un visage au nez empâté et aux lèvres pleines. Merde, pensa Peck, j’ai dû composer ses coordonnées sans même m’en rendre compte. Je vais pas lui raccrocher au nez, maintenant… « Ouais, c’est bien moi, salut Jah
- Tu tire une sale tronche, ça va pas, man ? demanda Jah de son ton traînant.
- Je viens de prendre mon cycle.
- Et il t’a pas loupé.
- J’ai encore fait ce rêve, tu sais, celui dans le noir, avoua Greg en plissant la bouche.
- Et tu le flippes encore ? il est pourtant pas si effrayant. Moi, je le trouve même très bien, en fait.
- C’était quoi encore, ton histoire à ce sujet ? » Tant qu’à faire, autant le questionner, maintenant que la discussion était lancée. Peck se saisit d’un paquet de cigarettes et en alluma une. La fumée s’éleva et fut directement prise dans le purificateur d’oxygène, un filtre installé par la compagnie qui l’employait et dont l’utilisation était retenue sur sa paye. De vrais voleurs ! « Man, t’écoute pas ? C’est pourtant simple, le noir que tu vois, il est entier, sans limite, hein ? il est plein et vide à la fois, il ne comporte nulle erreur, nul doute ?
- On peut voir ça ainsi, ouais, fit affirmativement Peck, qui ne voyait pas la logique d’un tel développement.
- C’est le Tout-Originel, man, c’est Dieu que tu vois, c’est Sa présence, infinie et illimitée. C’est pour cela que tu ne vois rien, en fait. Il n’a pas de présence physique, sa force, sa totalité lui suffit à lui-même. Il se suffit à lui-même. Il est, tout simplement. Tu vois, man ? Dieu, c’est l’Espace, l’Espace Révélé.
- Mais… attends, tu veux dire que c’est… enfin, c’est illogique, pourquoi nous, on le verrait ?
- Parce que nous, on est dans l’espace, man, on est à son contact, au plus proche de lui. On raisonne au niveau de la galaxie, on est plus rattaché à l’esprit terrien.
- Mais si c’est bien lui, persévéra Peck, pourquoi ne nous a-t-il pas fait adapter à l’espace ? Pourquoi doit-on respirer de l’air pour survivre alors qu’on pourra vivre directement avec lui.
- Man, c’est des épreuves qu’Il nous envoie. Pour qu’on soit digne de Le voir. Ce sont ces épreuves que l’on a réussi, nous. On est les nouveaux moines, on est retiré, plus proche de lui pour pouvoir méditer et sentir Sa présence. » Peck se sentait tellement ignorant, dans ces moments-là. Il aurait bien voulu trouver les failles – il était convaincu qu’il en existait – dans ce raisonnement, mais il n’y parvenait. Il hocha la tête, salua Jah et raccrocha, prétextant le début de son temps de service, ce qui n’était pas totalement faux. Finalement, est-ce que cette façon de pensée était pire qu’une autre ? Elle semblait réussir à merveille à Jah. Il ne serait sans doute pas au nombre de ceux qui allaient un jour ouvrir le sas et se projeter dans la Grande Bouche. Et se retrouver pulvériser en moins de deux. Enfin, pour ceux qui ne mettaient pas leur combinaison. Pour les petits vicieux qui aimaient que ça dure, ils pouvaient mettre leur combinaison, débrancher le com sub-vocal et le localisateur qui bipait la Terre et lui envoyait les coordonnées de l’opé qui quittait sa cabine. Et ceux-là mourraient alors à petit feu. Personne n’irait les récupérer. Oh, ils apparaissaient bien sur les radars des vaisseaux qui faisaient la navette entre la planète et les satellites artificiels, mais qui pouvait faire la différence entre un corps et un morceau de tôle d’un chantier orbital quand il y avait tant de débris en état stationnaire autour de la Terre ? Ce n’était rien de plus qu’un point verdâtre sur l’écran. Et avec l’Assistant de Survivance connectée à la combi, cela devait bien prendre au moins 7 jours pour qu’ils finissent par mourir. Souvent de faim ou de soif. Au mieux, d’un disfonctionnement de l’appareil respiratoire. Dans ce cas, ils déliraient pour le reste du temps qu’ils vivaient encore. Peut-être voyaient-ils effectivement Dieu.


Peck regarda l’écran viré au noir, effaçant les traits de son interlocuteur. Et si sa réflexion était à prendre à l’envers ? Jah sous-entendait qu’un dieu est une entité figée dans le « non-agir », dissociée de la Création. Une entité qui ne vit que pour elle et par elle. Une personnalité dans l’infini, pleine et entière, libérée des contraintes matérielles et dont ne subsiste que l’essence pure. Alors ce rêve qui le projetait dans l’espace peut-être le plaçait-il en fait dans ce divin état. Peut-être était-il un dieu alors. A la vie sans limite, sans force extérieure, sans extérieur en fait. En communion avec lui-même. Un Dieu pour lui-même, voilà. Peck frissonna. Cela n’allait pas. Un bris de glace glissa le long de sa colonne vertébrale. Il savait à présent pourquoi Dieu avait créé les êtres humains. Par solitude sans doute. Parce qu’il n’est pas d’espace, ni de temps, que l’on puisse affirmer par sa propre identité. Il faut qu’il soit reconnu par une autre personne. Un Autrui. Ca rejoignait peut-être ce que disait Jah. Un Dieu qui aurait attiré à lui ses enfants, pour s’accomplir dans l’autrui, des milliards d’autrui prêt à se joindre à lui dans une communion universelle. Et nous ne serions qu’un ? Plus de Greg, ni de Jah, ni de Terre, juste Lui. Et à nouveau la solitude. Un nouveau cycle.

mardi 23 décembre 2008

Extrait : La Tour

La Tour raconte la fuite de Jack et de son jeune acolyte à travers un lieu terrifiant et merveilleux, la fameuse Tour du Seigneur-aux-Bouches. Le récit est très largement inspiré de Changeling : The Lost, excellent jeu de rôle, de White-Wolf, à essayer de toute urgence ! 




Le long du béton, parfois, il y avait d’étranges vibrations. De la machinerie s’activait quelque part dans ces murs et l’on pouvait en percevoir les remous jusqu’ici. Jack passait la plupart du temps à fermer les yeux pour essayer de retrouver, dans son souvenir, le dessin de ces lieux qu’il avait traversé de nombreuses fois. Mais sa mémoire semblait le fuir dès qu’il tentait de mettre la main – mentale – sur les plans. Du mouvement sourd et ininterrompu. Dans son souvenir, il y en avait beaucoup par ici, il devait y avoir une salle des machines. De celle qui ne sont pas composées vraiment d’acier, parce que le Seigneur-aux-Bouches n’aime pas cela. Non, celles qui étaient faites d’alliages étranges, entre métal, végétal et… il ne savait pas exactement.


Sur son dos, le jeune garçon-fille s’était finalement endormi, lui laissant au moins l’opportunité de penser sans raconter toutes ses histoires. Normalement, s’il avait vu juste, l’attention de la plupart des gens occupant la tour devrait s’être tournée sur le barde qui était arrivé au dernier étage. Cela faisait une sacrée marge. Ce qui angoissait toutefois Jack, c’était l’absence d’armes. Du moins des armes normales. Un son de voix brisa le fil ténu de ses pensées. Il se stoppa net. Sous ses pieds s’étendaient à présent les coursives métalliques de passerelles se perdant dans le noir et les vapeurs. Il n’avait même pas remarqué combien la chaleur avait augmenté, devenant presque étouffante selon les bouffées qui s’élevaient de gueules béantes dans les murs ruisselants. La salle des machines, exactement ça. Des orbes colorées illuminaient de lueurs orange-fiévreux parmi les dents circulaires qui virevoltaient dans les ténèbres.


Jack glissa doucement au sol et posa avec sollicitude son compagnon, puis tendit l’oreille. « Fais attention-tion avec ces chaînes ! Riiiiiiih ! On ne sait pas d’où elles partent et où elles finissent, sinon qu’elles sont là pour pendre. Riiih ! On devrait plutôt s’inquiéter des rouages, non ? grinçait une voix.
- Et pour atteindre les rouages, maugréa une seconde voix, il faut pousser les chaînes. Sinon, on n’arrivera pas à fermer les portes de cet étage ! – Quelques bruits de chaînes qui s’entrechoquent, suivi d’un lourd soupir - On ne m’a même pas dit ce que le Tout-Haut voulait exactement.
- Notre Seigneur-aux-Bouches a dit et dit et dit – riiiiih ! - que nous devions les retrouver au plus vite, avant que le Maître-Barde ne s’échappe lui aussi-iiiih !
- Ca ne t’étonne pas qu’il soit tombé aussi rapidement sur le Maître-Barde ? On dit qu’il était déjà ferré alors même que le Conteur s’évanouissait. Il est arrivé en pélican – Tu sais, celui avec des ailes de chauve-souris, le plus laid de tous ! - il y a tout juste quelques heures. »


Jack passa la moitié de son buste par-dessus une balustrade parcourue de belles feuilles ciselées et aperçut les deux silhouettes qui discutaient sur une plate-forme en contrebas, entourant un fossé où plongeaient les chaînes. Son regard chercha rapidement le long des tiges rutilantes qui s’enfonçaient dans le noir. Il vint s’accroupir et retirer une longue barre de fer coincée entre deux plaques. Cette dernière poussa un bruit sec sans céder. « Hiiiiii ! T’as pas entendu du bruit, là-haut ? On ne devrait pas aller jeter un coup d’œil-hiiiii ! grogna soudainement celui qui apparaissait comme disposant d’un bec noir veiné de blanc sale. Son interlocuteur était large d’épaules, sa tête enfoncée entre, dans l’absence de cou. Ils portaient tout deux des tuniques sombres relevées de renfort d’une matière que l’on eût dit de l’obsidienne. Le plus épais tira de sa ceinture un petit objet, court, et signala d’un mouvement de son menton double la toile de passerelles au-dessus d’eux. Celles où Jack se trouvait. Il lâcha la barre et s'accroupit pour passer son cou sous la rambarde. Le compère au bec venait de sortir un objet pareil à celui de son compagnon et s'approchait d'une échelle. L'esprit de Jack entrait déjà dans les multiples moyens d'en venir à bout le plus vite et discrètement possible. Souplement, il passa outre les barreaux de métal et posa le pied sur une courte corniche. Assurant son appui, il glissa sa main le long du mur humide puis tout son corps, dans un mouvement sinueux, vint se plaquer. Alors que la créature montait lourdement à l'étage, il progressait sans bruit vers une chaîne dont il se saisit doucement. Le tintement fut couvert par le bruit des rouages qui s'enclenchaient alors que le gros, plus bas, tirait un levier en marmonnant. Jack se laissa pendre, avec des gestes appuyés. Ses muscles étaient des noeuds rougeoyants. Son coeur semblait battre au ralenti, comme s'il participait, comme tout le corps, à l'effort pour minimiser le bruit.


Alors que l'homme à tête de perroquet atteignait la plate-forme du dessus, il tenta de chasser l'urgence de son esprit. Il sentait, sur sa main, le contact froid d'une dégoulinade noirâtre et poisseuse sous sa manche. Ca glissait le long de sa paume et venait couvrir ses doigts. Du bout de son index, cela formait un long filet, au bout duquel la goutte s'alourdissait et prenait consistance, devenant aussi dur que l'acier, et sans doute aussi coupant. L'épais personnage lui tournait le dos, droit devant lui. Il s'en approcha, encore quelques pas, effleurant à peine la tôle du sol. Le mouvement fut si vif que l'être ne se sentit même pas mourir. Son oeil fut tout simplement chassé de son orbite par la pointe noire qui pendait au doigt de Jack. L'autre se vida de toute vie. "Hiiiiiiii ! Y'a un type ici, un môme, même ! J'crois bien que c'est... Hé ! Tu m'écoute ? Lança le perroquet, se retournant vers l'endroit où devait se trouver son compagnon, et où il ne vit que Jack, déposant l'homme doucement au sol. Ajustant son arme, il cria : "Hiiiiii ! T'es le guerri-hiiiiii-er, toi !" mais son interlocuteur ne répondit pas. Dans une roulade, ce dernier arracha des mains de son précédent adversaire l'arme qu'il tenait et fit feu sans viser. Deux coups s'élevèrent.


Les doigts de Jack serrèrent sa jambe dans un grognement, alors que le perroquet hoquetait en pressant sa main couverte d'un duvet de plumes verdâtres sur son cou. Il y eut un instant de flottement où les deux combattants songeaient à leurs plaies respectives, l'esprit embrumé par la douleur et la surprise. Puis aussitôt après, l'homme au bec tendit les bras dans un grand hululement, produisant un bruissement semblable à la friction de deux pages de papier mais si amplifié qu'il en couvrait les vibrations des machines alentours. Des plumes déchirèrent les manches de son uniforme, transformant en ailes ce qui n'avaient été jusqu'alors que des bras. Il les battit avec la frénésie de la panique et commença à prendre de l'altitude. Mais Jack avait déjà vu venir la manoeuvre. Le pistolet rangé à la ceinture, il avait, d'un revers de sa main encore couverte d'hydrocarbure, sectionné une maille d'une chaîne et s'en était saisi. Criant de douleur, il s'était élancé en courant vers la rambarde sur laquelle il avait pris appui avant de se jeter dans le vide. Le calcul était risqué, avait-il pensé, peut-être que le perroquet ne serait pas assez fort pour résister à leurs deux poids et s'échouerait dans les limbes. Peut-être allait-il le louper misérablement et disparaître aussi sûrement. Peut-être même n'arriverait-il même pas à la rambarde tant sa jambe lui faisait mal.


Le choc fut brutal, l'oiseau humanoïde perdit soudainement toute sa force et entama une chute rapide. Les machineries défilaient à tout va devant les yeux de Jack, qui serrait les dents pour ne pas hurler. Il vit passer à toute vitesse une énorme cuve rayonnant de chaleur et de quelque chose de plus vieillissant et ferma les yeux. Son véhicule amorça un large mouvement de ses ailes, freinant mollement la perte de hauteur, puis, d'un second coup, redressa la barre et passa tout juste sous l'épaisse dent d'un rouage cyclopéen.


Jack ne rouvrit les yeux que quand il sentit une gifle percutée sa joue. Des feuilles dorées lui battaient le visage, jusqu'à ce qu'elles révèlent une branche large comme une piste d'atterrissage. Visiblement, il n'était pas le seul à avoir fait l'analogie, puisqu'ils s'en rapprochaient à une vitesse bien trop élevée pour l'entreprise entamée. Alors il fit ce qu'il jugeait le meilleur.


Il lâcha prise.


Le sol le heurta violemment, alors qu'il roulait sans prise par terre. Le monde vira au violet hématome, alors qu'il hoquetait et entendait ses petits hoquets se répercuter dans les tréfonds de sa tête, apparemment vidée par le choc. Tout son corps était une unique cicatrice qui se répandait en vague de chaleur sur le sol, ne laissant dans ses os que du froid intense. Lorsqu'il rouvrit les yeux, des lumières vives l'agressèrent aussitôt, se réverbérant sur les feuilles jaunes. Il roula sur le ventre, abasourdi par les éclairs sillonnant ses côtes. Il releva la tête suffisamment vite pour voir que son compagnon de fortune avait connu le même sort, ses plumes vertes s'ébouriffant sous la brutalité du choc. Sauf qu'il était déjà debout, bien que titubant, et acheminait sa silhouette endolorie vers une arche boisée. Son cou était devenu écarlate, et une de ses mains s'y pressait toujours avec force. Jack le vit disparaître et soudain, sentit la nécessité de le rattraper battre à nouveau dans ses veines, suffisamment pour le relever.

vendredi 19 décembre 2008

Extrait : State of Mind

State of Mind raconte l'histoire d'Ash Lebrowitz, vérificateur de miracles dans la petite ville de Carlston, Arizona. Adulescent, incapable de quitter ce trou perdu dans le désert, il conte, depuis la cellule d'une "maison de repos", ce qui l'a mené à y attérir. Une nouvelle qui devait devenir - peut-être - un roman, malheureusement inachevé mais pas abandonné. J'ai un grand respect pour le personnage central et surtout, c'est mon premier récit sans l'ombre de fantastique, juste des gens normaux dans une vie... enfin, chaque existence est, à bien y regarder, étrange et bizarre. State of Mind essayait de capturer cette étrangeté.



State of Mind


Le père Lebrowitz sonna plusieurs fois avant de comprendre que la sonnette ne marchait pas. Il considéra la porte de blanc cassé et écaillé, laissant apparaître un bois moribond. Il toqua et un chien se mit à aboyer de toutes ses forces, avec une hostilité peu commune. Le prêtre songea qu’il devait s’agir d’un chien païen.


La journée était chaude, le soleil était au plus haut. Lorsque le Père Lebrowitz regardait le bout de l’avenue Pasadena, sur sa gauche, il voyait, sous le piédestal de la statue de St John, une flaque huileuse d’où émanaient des ondulations de chaleur. Il sentait sa nuque brûler sous les assauts de l’astre, sans remord, tout en amorçant sa descente vers Meadow Hill, l’immense récif qui occupait tout l’horizon à l’est. Lebrowitz s’essuya furtivement le front alors que des cliquetis assourdis lui promettaient une ombre salutaire. Un visage en amas déconfis, débordant du col circulaire d’une robe blanche à fleurs, apparut sous le porche et se signa en saluant le prêtre. Avec elle vint un souffle frais, dont on entendait le bourdonnement d’une clim’ antédiluvienne. « Madame Leary ? demanda-t-il de façon rhétorique. Bonjour, je viens – au nom du Seigneur – vous poser quelques questions à propos de ce que vous avez confié au père Boucher durant la messe d’hier.
- Dites-moi, mon père, répondit l’interlocutrice avec un lourd accent, après l’avoir longuement observer. Vous s’riez pas l’gamin à Lisa Lebrowitz, le p’tit Ash ? Doux Seigneur, c’que t’as grandi ! – Et elle se signa.-
- Je suis ministre du culte, aussi, ajouta platement le prêtre, que le soudain instinct maternel de la dame avait refroidi. Alors appelez-moi « mon père » et asseyons-nous au salon pour que vous me racontiez tout ça, d’accord ? » Il lui semblait que ce qu’il avait identifié comme fraîcheur venait justement de là. « J’me souviens très bien d’quand t’étais plus jeunot, et qu’tu venais ici jouer avec ma p’tite Amanda, tu t’souviens ?... hasarda Madame Leary.
- Le miracle, « Tata » Leary, je suis là pour le miracle.
- J’sais bien que t’es là pour le miracle !...
- Mon père, la coupa-t-il.
- Mon père… » ajouta-t-elle. Il la considéra longuement. Elle semblait attendre une espèce de punition divine pour avoir fait référence à une époque où le représentant de Dieu sur terre avait joué à touche-pipi avec sa fille. Lui, il leva la tête vers une énorme montre qui pendait au-dessus de l’encadrement de la porte traînant jusqu’à la cuisine. « On pourrait aller au salon, maintenant ? demanda-t-il.
- Abraham est au salon, mon père.
- Abraham ? » demanda-t-il. Sans doute son mari. Mais quel problème pouvait-il bien y avoir avec le fait qu’un prêtre entre dans son salon ? Peut-être le maître du chien païen était-il lui-même un païen convaincu, prêt à faire cuir tout prêtre franchissant son perron. Il tendit le cou vers la double-porte vitrée qui révélait un canapé vert pourrissant et un écran de télé aux boutons larges comme son pouce. Et un molosse campant avec une austérité apparente sur la table basse jonchée de magazines féminins. « C’est mon chien, expliqua-t-elle. Il a le même caractère que feu mon mari – elle se signa. - Il est particulièrement attaché à son territoire, vous comprenez ? Il n’aime pas trop que quelqu’un entre dans le salon lorsqu’il s’y trouve. » L’attachement au territoire. Tous les habitants de Carlston l’avaient ressenti. De façon très forte et très vigoureuse, surtout lorsqu’ils avaient tous perdu ce qu’ils considéraient comme étant le « vrai » Carlston. « Eh bien… marmonna Lebrowitz. Très bien. Pas de problème. La cuisine, on peut ? – Devant le silence un peu gêné de Madame Leary, il baissa les bras. – Où vous voulez.
- Suivez-moi, mon père. »


Elle le mena vers l’arrière de la maison, marquant une pause dans la cuisine pour s’assurer qu’Abraham ne guettait pas un éventuel passage du prêtre pour lui bondir dessus. Une fois rassurée – elle avait fermé la porte coulissante menant de la salle à manger au salon – elle revint lui faire signe, dans une parodie approximative de film de guerre, de courir – accroupi, sans doute – le plus vite possible jusqu’à la porte de derrière. Le père Lebrowitz appréciait moyennement qu’on le malmène ainsi, mais il avait remarqué que le temps s’égrainait avec une lenteur incroyable par ces lieux et avait préféré faire au plus simple pour que l’entrevue s’achève rapidement.


Après tout, c’était aussi son gagne-pain. Et puis cela lui assurait de ne pas avoir à faire de sermon tout les dimanches, puisque le père Boucher considérait qu’en contrepartie, se mettre en chasse auprès des autochtones étaient une tâche relativement difficile qui occupait bien trop du temps du jeune prêtre pour qu’il puisse composer de longues monologues sur la pratique de la foi. Et Lebrowitz, qui pensait l’avoir fabuleusement eu dans l’affaire, commençait à se demander lequel des deux avait eu l’ascendant sur l’autre.


Il arriva dans le lopin de terre à l’arrière de la maison de Madame Leary. Elle n’avait pas exactement l’habitude de s’occuper d’un jardin. Comme la plupart des anciens habitants de Carlston, ils se croyaient tous encore en plein désert. Ils avaient en un sens raison, Lebrowitz n’avait pas connu le Nouveau-Mexique. Il était né en Arizona, alors que Carlston avait déjà franchi la chaîne de Meadow Hill. Il supposait simplement que le soleil du Nouveau-Mexique était plus abrutissant que celui d’Arizona, puisque ceux qui avaient connu le changement laissant toujours leur jardin en friche, comme s’ils considéraient avec béatitude la possession d’un peu de sol vert en dehors de chez eux comme une trahison des anciennes coutumes locales. Les anciens habitants formaient réellement une tribu à part dans l’histoire du comté d’Apache.


Lebrowitz, en se retournant vers la maison, remarqua l’imposant crucifix fixé à une poutre soutenant l’avancée de toit. En bois massif, verni d’une glue sombre, la silhouette du Christ en métal noir dont les arêtes anciennes avaient verdi, il semblait clair qu’il avait vécu mille et une intempéries qui l’avaient vieilli prématurément, mais il n’en était qu’encore plus impressionnant. Presque menaçant en fait. L’attention du prêtre fut heureusement détournée par l’arrivée impromptue de Madame Leary, portant un plateau où trônaient avec un évident orgueil deux verres de citronnade qu’elle posa sur la table de jardin. Le prêtre la suivit jusqu’à la table et prit place sur la chaise dépliante que lui avait sorti, dans un souci de plaire, la vieille femme. Il ne manquait plus qu’une cigarette, en fait, songea Lebrowitz, alors qu’il félicitait de quelques platitudes la citronnade. Il essayait d’avoir l’air à l’aise, même s’il n’aimait pas exactement la déférence qu’avaient les gens envers lui. Au début, il avait cru qu’il pourrait s’y faire. Il s’imaginait déjà tapant dans la boîte à cigare, posant les pieds sur la table et demandant des massages. Mais finalement, il se rendit compte que jamais personne ne remettrait sa parole en doute et que s’il demandait ces choses, il était sûr de les avoir. Ce constat l’effraya et finalement, il décida de se limiter au strict minimum. La citronnade, le plus souvent. Il étouffa un bâillement et se redressa dans sa chaise, sortant un calepin de sa belle veste, dont il tourna les pages couvertes de griffonnages pour en trouver une vierge de toutes inscriptions. « Je vous écoute, Madame Leary.

Black Bones 1 : Histoire de Fond



Le projet Black Bones a été créé conjointement avec Bastien, qui s'est occupé de superbes visuels à consulter ici. Ce premier article sur Black Bones vise à expliquer les premiers pas dans la rédaction de cet univers.

L'histoire, située dans les années 90, l'humanité a subi les âffres d'une évolution indubitablement forcée : alors que certaines personnes sombrent dans la plus profonde folie, soudainement, sans même de précédents psychiatriques, d'autres se découvrent des aptitudes hors du commun. Dans cet état de crise, les principaux concernés par ces découvertes sont forcés de faire des choix et surtout, le monde se doit de se préparer à réagir face à eux. Surtout que la situation politique change : la Californie se voit progressivement envahie par une population est-asiatique, sous couvert d'actions humanitaires suite à un étrange séisme. Finalement, par l'action conjointe des superhéros, ils définient que la Californie sera à présent soumise à une gouvernance partagée avec l'Asie. Les envahisseurs superhéroïques sont à nos portes. Devant cette invasion, les états frontaliers font un regain d'intérêt pour le nationalisme et certaines couches de racisme bien primaire. Sous la houlette d'un super vilain, Crâne de Fer, un nazi mort-vivant, des raids sont organisés sur les minorités ethniques, filmés et mis en ligne sur Youtube. Enfin, ces fameuses minorités finissent par se soulever un peu partout et, en Arizona, les émeutes sont réprimées durement par la garde nationale avec à leur tête un super héros, Major Liberty. Ce dernier, gagnant en popularité, décide de se présenter au rôle de gouverneur...
Le récit couvre en priorité le destin d'Elroy Melton, alias Bedlam, un pyrokinésiste. Sociopathe, il est soumis aux ordres d'une Eglise nouvelle, une branche de la Sciontologie qui a réagi promptement à la découverte des superpouvoirs. Face à cette contagion de pouvoirs, l'Eglise a pris sur elle de définir les pouvoirs "acceptables" et ceux qui mettaient en péril les libertés fondamentales. Ainsi Bedlam se retrouve à tuer des gens qui ne sont pas forcément mauvais, sous prétexte qu'il pourrait l'être. Et lui l'est, indubitablement. Jusqu'au jour où... enfin, ça, c'est l'histoire de Black Bones.


Au départ, une parodie un peu facile sur les superhéros, j'ai finalement décidé de faire "ma propre histoire" de pouvoirs fantastiques. J'ai toujours été fasciné par la structure du récit de superhéros. En fait, il faut voir que je suis fasciné par le comics en particulier et le média américain en général. Malgré ce que l'on peut en dire, les Etats-Unis jouissent d'une sacrée réflexivité par rapport aux évènements qui la touchent. Même si, on ne peut le nier, l'interprétation qui en est faite n'est pas toujours la meilleure, on remarque une force de remise en question assez surprenante. Il suffit de voir des documentaires comme ceux de Micheal Moore pour s'en convaincre. C'est décidemment un pays où les contraires s'affrontent en permanence.
Au niveau du comics, m'est avis que ce regard permanent, la remise en question perpétuelle des fondements même du superhéros vient en partie même de la structure de ce récit d'un genre particulier. On remarque rapidement que le comics évolue sur une forme de mythologie fermement ancrée. C'est plus qu'une simple série de code qui régissent un récit, ici, les personnages existent en-dehors de l'apanage de leurs auteurs. On se retrouve en fait, avec un média qui se réinvente en permanence parce qu'il jouit de l'apport continu de nouveaux auteurs qui reprennent les anciens "dieux", les anciens héros pour les ressusciter, en les développant souvent selon une thématique nouvelle, plus moderne et en phase avec l'époque. On pourrait largement faire une comparaison entre le thème de Civil War, dernier-né de chez Marvel, grand fond de réflexion sur l'ingérence de l'état dans le superhéroïsme et sur la légitimité devant le peuple des superhéros, et la guerre en Irak, par exemple.
La question du superhéros s'annonce déjà comme disposant de plusieurs ramifications toutes passionnantes. Déjà, on peut tenter de la prendre à sa source. Qu'est-ce qui définit un superhéros ? Rien que cela me paraît nourrir bon nombre de réflexion. En fait, j'ai l'impression que quand il s'agit de pouvoirs sortant de l'ordinaire, on agit par déterminisme pour essayer d'en cloisonner la fonction. Si une personne déterminée est touchée par une aptitude sortant de l'ordinaire, c'est qu'il y a un sens sous-jacent qui soutend l'appréciation de ce pouvoir. C'est une démarche qui, dors et déjà, préfigure une volonté d'ordonation universelle - pour ne pas la nommée, Dieu, donc. C'est fascinant parce que cela induit l'idée que sauver quelqu'un est directement issu d'une faculté à le faire et pas d'une volonté. En outre, le sauveur est choisi, il ne se décide pas de lui-même. Pour expliquer plus clairement ma pensée, c'est dire à quelqu'un qui sait voler qu'il a été choisi pour le faire, qu'il préfère marcher ou non. Une sorte de fatalité très tragique, cependant, qui touche notre être normal pour en faire un super-héros avec la définition très précise d'être clairement un super-héros. Un pouvoir est l'oeuvre d'une entité supérieure qui en dote une personne, le déterminisme voulant qu'elle en fasse un usage moral, codifié par la société pour subvenir à ses détresses, laissées vacantes par l'inaptitude très humaine des concitoyens à régler ces problèmes-là seuls. Donc, en réfléchissant ainsi, le super-héros se dégage de la masse par son pouvoir, certes, mais aussi par sa faculté à réagir en fonction : forcément moral. Toutefois, s'il y a super-héros, on entend qu'il y ait exigence de super-héros. Le super-héros n'agit jamais sans un alter ego démoniaque qui tienne en échec les différents organes judiciaires "normaux". Le super-héros est fruit d'une crise. En cela, il interprète - à l'intérieur du récit - un regard sur la situation de péril qu'explore la société dans laquelle il se trouve. Un comics, c'est presque les Lettres Persanes modernes. En n'étant pas avili à la "bassesse" de l'humanité, le super-héros peut prétendre à un regard sur nos civilisations.

Black Bones se situe dans ces réflexions, mais pas forcément de manière précise. En outre, de prime abord, je voulais poser la question de la légitimité légale d'un super-héros. Certes, dans les plus anciens comics, le héros rendait la justice, la plupart du temps, il surprenait ses adversaires la main dans le sac et ne s'embarrassait clairement pas de procès. Mais qui a dit que le jugement d'un super-héros valait celui d'un jury ? De quelle morale échoue le super-héros qui soit suffisamment supérieure pour prévaloir sur celle des hommes ? certes, nous avons défini précédemment que le super-héros était défini par la moralité générique de la société qui lui donnait naissance. Mais l'on parle évidemment d'individus plein d'individualité, forcément, cela nuance ce jugement de valeur. La question est traîtée en opposition macrocosme-microcosme, rien de bien original, je trouve, c'est une expérience que je voulais tester en matière de narration. En outre, il s'agit d'exprimer une même situation sur deux niveaux de récit : le niveau "local", avec l'activité du ou des protagonistes et le niveau "national" à "mondial" avec des décisions plus globales touchant des milliers d'individus. On se retrouve donc avec un récit mettant en premier plan Elroy et ses péregrinations pour tuer directement des gens dont les pouvoirs semblent dangereux (télépathie, manipulation mentale, cérébrale, sensorielle) et, en toile de fond, les démarches de Major Liberty pour devenir Gouverneur, les pressions lobbistes de l'Eglise qui emploie Melton pour endiguer les projets de loi sur les fonctions exécutives des super-héros... Ma volonté étant de ne pas parodier le genre, ni tenter de le renouveler, mais de lui apporter mon propre regard, en réutilisant de nombreux codes et archétypes, mais en nuançant de mes thématiques.

Le prochaine article couvrira certains des personnages, je pense !

samedi 13 décembre 2008

Le Crépuscule : Conte

Le Crépuscule est un ensemble de nouvelles avec comme point commun l'idée d'une dimension distordue dans laquelle les esprits égarés se perdent aisément. Mêlant cauchemar et fantasme, le Crépuscule est un reflet de notre monde, secoué par les bravades de l'imagination la plus débridée de ses occupants. Première nouvelle :



Nuit de Liesse



Barney se glissa dans sa salle de bain. Les premières heures de l’aube – ou était-ce les dernières du jour ? - arrivaient tout juste, déversant une lumière d’orange enflammée dans la pièce, tirant même jusqu’au rouge le long de la céramique. Barney n’aimait pas ça, on s’y serait cru dans un conte des milles et une nuit. Et il n’aimait pas le Moyen-Orient. Quel intérêt d’avoir laissé cette pièce devenir grise si c’était pour la retrouver orange tout les matins quand il se levait ? Il alluma l’eau, dénuda son épaisse carrure puis tâta de l’index si l’eau était suffisamment chaude. Il finit par se placer sous le pommeau de douche, qui déversait sa tiédeur sur son crâne dégarni et ses épaules. Il avait réellement mal vécu la perte progressive de ses cheveux. Parfois, il entendait dire qu’ils étaient tombés avec sa bonne humeur. Il passa sa main dedans, évaluant l’étendue de la rareté capillaire. Quelque chose s’entortilla contre sa main gauche, alors qu’il tentait de la rabattre, et il sentit que des cheveux cédaient sous la pression et s’arrachaient même. Sursautant, il regarda sa main et découvrit que le bracelet de sa montre avait dû prendre au piège quelques mèches survivantes. Il pesta. D’autant plus qu’étant donné les litres qui s’étaient déjà abattu sur sa malheureuse montre, elle devait être à présent fichue. Il tenta néanmoins de la retirer, rebroussant le pan de manche qui la couvrait. Quoi ? Bon sang, il avait même oublié de retirer son costume. Son plus beau costume, en plus, le bleu ciel, avec la cravate rayée. Il détestait être vêtu sous la douche, mais il était déjà trempé, cela ne valait plus la peine de bouger. Il fallait attendre que l’eau finisse de couler, sinon, il allait sentir le tissu mouillé sur sa peau et il ne supportait pas cela. Il avait l’impression de ruisseler de sudation. Heureusement qu’il n’était pas sorti ainsi.


L’eau s’arrêta de couler. Il tenta un premier mouvement. C’était comme d’évoluer dans de la lymphe, mais à l’état adulte. Bref, comme porter une couche, en somme. L’image de la couche se logea dans son cerveau au point qu’il n’en put plus supporter davantage. Il tira d’un coup raide le rideau de douche et sortit dans son box. Pendant un instant, il chercha son lavabo, mais ne trouva que son bureau – son ancien bureau – et l’observa d’un œil incrédule. Il n’avait pas pu se doucher au boulot, c’était impossible. Il tendit finalement le cou par la porte du box et remarqua ses anciens collègues, qui le regardaient tous avec des yeux vitreux. Il dégoulinait sur le moquette, s’excusant. Ils ne répondirent pas, formant une espèce de mur silencieux, barrant le chemin vers les bureaux plus haut. Derrière eux se déplaçait une figure noire et menaçante, comme une rumeur répandue parmi eux. On murmurait parmi eux, on le pointait du doigt. On l’indiquait pour ce qui se cachait derrière eux, la noirceur, qui marchait d’un bout à l’autre du couloir, comme une panthère en cage, prête à bondir. Et lui se sentait sale. Il était presque sûr à présent d’être dans un rêve. L’eau qui ruisselait sur lui lui donnait l’impression d’être couvert d’une pellicule de sueur et d’urine, ce mélange particulier propre au songe. A ses songes, en fait. A présent, il n’avait plus qu’une crainte, c’était de se réveiller baignant réellement dans son urine.


« Barney ! » Barney se réveilla en sursaut. Il se redressa dans son fauteuil, qui grinça sous le changement de disposition de son poids, et tâta avec angoisse son entre-jambe. « Tu t’es encore endormi. Tu as bu ? Tu as encore trop bu ? l’harcela sa femme, qui lui lorgnait le visage avec un air mauvais.
- Non, je n’ai pas bu, marmonna-t-il, en essayant de retrouver ses esprits.
- Tu te fais trop vieux pour ce boulot. On devrait demander à Arnie de reprendre la station, tu sais très bien qu’il accepterait de lâcher ses études à Philadelphie. » Barney cligna des yeux en regardant sa femme comme si elle était devenue folle. Puis, d’une voix pesante, il parvint à lui dire :
- Qu’est-ce que tu fous ici ? Tu n’as pas un boulot, toi non plus ? Fous-moi le camp d’ici avant que je ne me mette réellement à boire. » La menace était suffisamment claire pour que son épouse batte en retraite, sortant par derrière pour gagner le snack. Il se remit à l’examen de son entre-jambe dès qu’il eut entendu la porte se clore derrière elle. Outre quelques sudations qui lui causaient des doutes, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Il n’était pas encore en âge d’être incontinent, qu’on se le dise. Il se tassa dans son fauteuil, soupirant. Il ne savait pas à quel âge on finissait incontinent, mais certainement pas au sien. Il atteignait à peine la cinquantaine, c’était amplement insuffisant. Seuls les vieux se voyaient mettre des couches. Qu’on se le dise. Il s’étira dans son large fauteuil et s’y tassa à nouveau, tapotant du bout des doigts son bureau. A ce rythme-là, il était reparti pour s’endormir. Le seul bruit qu’il entendait était la musique qui lui arrivait, étouffée, du snack adjacent. Il ne devait y avoir personne. Aussi alluma-t-il la télévision et zappa. Des lueurs bleutées jaillirent alors sur le dépotoir devant lui. Il toisa d’un peu plus près son bureau, en bois blanc décharné, où s’étendait tout une paperasse inutile, du magazine porno jusqu’aux nouvelles du village d’à côté. Il avait posé, sous le rebord de la fenêtre de plexi, une boîte de métal nu, cabossée et plutôt ancienne, portant le poids de son âge sur ses contours enfoncés. Et dans cette boîte, il avait entreposé plusieurs objets, avec une ferveur patiente, confinant à la méticulosité religieuse Ils demeuraient là, invisible aux clients, ni, normalement, à sa femme. Il prit délicatement la boîte et l’ouvrit, allumant et rapprochant l’ampoule montée sur un bras articulé. A l’intérieur se trouvaient des objets qui partageaient tous une origine plus ou moins commune. Il les avait pris et les avait conservés pour les souvenirs qu’ils lui évoquaient puissamment. Il y avait la petite bouteille d’eau savonnée – pour faire des bulles –, une toupie en bois, très ancienne, une petite culotte, un tube de rouge à lèvres, une serviette hygiénique – propre. Il observait ces objets avec un sourire lointain, des images traversant son esprit, des senteurs, des gestes, des cris. Cette cavalcade dans sa mémoire lui fit bientôt sentir à nouveau peser sur lui le poids du sommeil. Il rangea soigneusement la boîte et se redressa à nouveau pour regarder l’horizon.


Le seul point commun entre le paysage de ses rêves et le paysage qui s’étendait devant lui était cette couleur orange qui noyait tout, comme si un peintre fou s’était chargé de réarranger l’horizon à coups de rouleau. S’y découpaient avec une netteté digne d’un tableau ou d’une photo d’art les deux fois trois bornes, un véritable luxe, une mine d’or pour qui se trouvait de ce côté-ci du désert. Mais qui n’accueillait plus autant de monde qu’auparavant. A bien y réfléchir, il lui semblait que tout ceci aurait pu représenter une publicité pour la fin du monde, si tant est qu’on en fasse. Il ne manquait plus qu’une carlingue de voiture rouillée.


Une voiture l’arracha à ses pensées. Il la vit arriver au loin, les phares ne mentent pas sur les routes désertes. Il avait jugé, par l’écartement des feux qu’il devait s’agir d’une cadillac et ne fut pas déçu. Elle était rutilante, d’un vert assez pâle, bien lissée et décapotable. A bord, Barney – qui comptait râler sur les propriétaires – remarqua rapidement une fille aux longs cheveux blonds, sans doute jeune, et un conducteur portant un casque de moto, sans doute, qui apparaissait, sous la lune, blanc os. Malgré le couple bigarré, qui lui coupa l’envie de commenter, il se ressaisit et se leva de son fauteuil. Il ouvrit le petit frigo sous le comptoir et en tira deux bières. Autant jouer au pompiste sympa. Il sortit alors, faisant le tour par le petit drugstore, poussant au passage les présentoirs à cartes grinçants.


Dehors, le type finissait son plein tranquillement. Sa tête était un bordel épars de cheveux noirs, son visage faisait presque poupon avec ses pommettes saillantes. Il rangea le bec de la borne à sa place et se retourna instinctivement vers le pompiste, qui s’arrêta, de fait, à bonne distance. « Bonsoir, murmura-t-il en s’essuyant les mains. Il mit un instant à comprendre pourquoi son interlocuteur lui tendait une bouteille et la prit soigneusement.
- B’soir mon p’tit m’sieur, répondit Barney. Votre mam’zelle n’est pas là ? J’avais une bouteille pour elle. Offerte par la maison » ajouta-t-il. L’homme se retourna, guettant par-dessus son épaule. Un coup d’œil à gauche, puis à droite, vers le désert, puis il secoua la tête. « Elle a dû aller se dégourdir les jambes.
- Elle est drôlement rapide, je ne l’ai pas vu. Elle a fait le tour du bâtiment ?
- Elle m’a dit vouloir aller aux toilettes. » Barney regarda son interlocuteur avec suspicion. Il savait quand les gens mentaient. Surtout si le mensonge était aussi éhonté. Les toilettes étaient closes et il était bien placé pour le savoir, c’est lui qui en avait la clé. Le silence s’éternisa et l’invité commença à danser d’un pied sur l’autre. « Je pourrais vous régler c’que je vous dois ? lui lança-t-il, tout en posant la bouteille sur le coffre de la cadillac.
- Bien sûr. Vous pouvez même manger, j’ai un snack à côté, il est tenu par ma femme. Vous pourrez prendre une table seul. Ou à deux. » Le jeune homme observa posément Barney. Ses yeux étaient d’un noir telle qu’on eut dit qu’il y avait une pièce vide derrière ses pupilles et qu’ils n’étaient que deux petits judas ouverts dessus. « Elle reviendra.
- Nous pouvons l’attendre ici, alors, insista Barney.
- Je vais aller m’installer dans votre snack et je commanderai pour deux. Et je l’y attendrais. » Barney n’insista pas. Il hocha la tête et s’en retourna à son comptoir, avec ses deux bières, qu’il rangea. L’homme vint lui régler ce qu’il lui devait pour l’essence et partit pour le snack. Barney avait du temps, il regarda bien alentours s’il voyait quelqu’un, mais il était formel, il n’y avait personne.


L’homme prit place dans le snack et quand l’épouse de Barney vint lui demander sa commande, il lui répondit qu’il prendrait bien deux sandwichs, un pour lui et un pour sa compagne qui n’était pas encore là. Les sandwichs furent servis avant son retour et l’étranger mangea le sien, seul. Il prit un café, le regard posé sur la porte d’entrée du snack, face à laquelle il s’était assis. D’abord énervé, il en devint pensif, tout en buvant son café et finalement, il commença à devenir suspicieux. Il se leva au bout d’une heure et sortit pour gagner sa cadillac. Les pneus crissèrent un peu quand il se plongea dans la nuit naissante.


La voiture fonça à travers le crépuscule, vers une nuit insaisissable, les phares balayant une bande de route lézardée devant elle. La région n’était pas venteuse, mais plutôt fraîche de nuit et si le conducteur avait eu des oreilles, il aurait entendu le hurlement de l’air en déplacement. Dans les feux, il vit soudainement apparaître une courte silhouette, la chevelure balayée par les souffles venant de la route. Il freina brutalement, et les pneus crièrent leur désapprobation. Il se jeta sur le côté passager de l’habitacle et ouvrit la portière. Une main menue s’en saisit et la petite jeune femme, si frêle et fragile, se glissa sur son siège. « Ne me fais plus ce coup-là, tu m’as foutu la trouille, gronda-t-il, sans réelle colère.
- Le type de la station service me faisait peur.
- C’est un con, mais sans doute pas un violeur d’enfants, marmonna-t-il en redémarrant.
- Tu ne l’as pas vu quand on est arrivé ?
- Non, mais j’ai dû lui parler pendant une vingtaine de minutes alors qu’il me tenait la jambe comme un chieur. Et j’ai dû expliquer que tu étais aux toilettes. Et je suis presque sûr qu’il n’a rien gobé. Oh merde… ça devait être fermé, comme dans les films. Fait chier !
- Il m’a fait peur » répéta-t-elle. Il lâcha un peu le volant, ses épaules faisant le mouvement d’inspiration alors même qu’aucun air d’entrait dans sa bouche. « Et pourquoi t’a-t-il fait si peur ?
- Il portait un costard bleu et il était trempé » lui dit-t-elle.



Couverture de Bastien Mathis


Visuels de Bastien Mathis


Blog de Bastien Mathis !


Faites bien attention, c'est mon cher collègue, vous allez être appelé à le voir souvent réapparaître dans ces pages !

The Eternal Journey...

... est un blog qui se propose de présenter une somme de travail - plus ou moins achevé - de rédaction littéraire. Mais aussi des recherches, des pistes d'articles, peut-être. Je consens juste à éviter à l'humanité entière mes états d'esprit, évidemment, je doute que cela ne passionne quiconque excepté moi et peut-être quelques personnes de mon entourage proche, qui ne vont pas en plus se coltiner le luxe de se taper un blog de ma conception s'ils peuvent avoir accès à la source des informations. Tout ça pour dire, donc, que normalement, vous ne devriez trouver ici que de la matière bassement littéraire, entre création et réflexion, que je vais essayer, avec mes petits doigts, d'alimenter assez souvent !

Promis.

De toute façon, ce sont les premiers pas. Alors, on patiente le temps que je rassemble mes notes et on se prépare, tant qu'à faire, à ce que je compte vous proposer.

En espérant que ça vous plaise !

Clém

Ceci est un test, détendez-vous et reprenez des doigts

Ceci n'est pas un article, c'est un test. D'où cette impression fugitive que quelque chose ne va pas bien. C'est tout à fait normal. Normalement, d'ici peu, la réalité devrait reprendre son cours l'air de rien et ce ne sera qu'un mauvais souvenir dans votre mémoire, un épisode détestable que vous finirez sans doute par oublier au détriment d'une vie de bien fait.

Nous vous le souhaitons, en tout cas.

Vous reprendrez bien un peu de doigt ?