mercredi 15 décembre 2010

Sata 6 Baston

Parue dans le Sata numéro 6 de mai, avec pour thème "Baston"



Mon nom est violence



Par la fenêtre, elle ne vit qu'un long dédale de béton, d'acier et de pluie. Elle éprouva sa dépression en devenir, son vide, avec un détachement tout scientifique pour l'observer, en prendre note et décider d'une analyse ultérieure.



Détournant son regard de la fenêtre, elle en revint à son patient du jour. L'homme était replié sur lui-même, presque recroquevillé dans sa chaise. Malgré une posture tout en défense et un regard fuyant, ses yeux n'exprimaient nulle crainte. Au contraire, ses pupilles dévoilaient une violence contenue au prix de mille efforts, qui le dévorait et était la source de ses assises défensives. « quels furent vos derniers rêves ? Demanda-t-elle.
- Des rêves ? Encore ? Non, je ne rêve plus, je m'émerveille d'être encore ici à devoir subir vos attentes, comme si je n'étais pas venu pour me comprendre mais pour être compris. »
Il se dégagea de son fauteuil, tournant autour comme un ours en cage. « On dirait que je dois me justifié de ce que je suis, au mépris de ce que j'éprouve.
- Asseyez-vous. Je suis là pour vous écouter, rétorqua posément la psychologue.
- Quel intérêt y a-t-il à cela, puisque ce que je vous dis vous passe au travers ?
- Expliquez-moi, le pria-t-elle avec douceur. »



Le patient avait été battu à la sorti d'un bar, pris dans une violente bagarre qui l'avait laissé pour mort. Il présentait un traumatisme sévère, qu'il galvanisait grâce à un système complexe d'hallucinations et de haine tournée vers lui-même.
Il reprit place, doucement, se tordant les mains. Ses yeux ne soutenaient plus ceux de la jeune femme et au terme d'un long silence, il se mit à murmurer : « Les gens décrivent la colère comme issue de l'élément du feu, qui vous consume de l'intérieur, mais ils ont tort. C'est un vide tout-puissant, une mer d'huile qui n'attend qu'une étincelle et enfle, dévore les rivages du conscient pour abolir toute forme de pensée cohérente, jusqu'à s'insinuer au-delà de l'esprit, dans votre corps même.
- Vous vous laissez aller à la sensiblerie, le coupa-t-elle.
- Elle prend totalement possession de vous, poursuivit toutefois l'homme. Remonte jusqu'aux perceptions et déborde sur le quotidien. Et vous ne voyez plus que cela, l'essence primaire de l'homme, qui envahit vos membres.
- Vous fuyez ma question.
- C'est l'état de l'homme, la violence dans sa plus grande simplicité et chaque personne que vous rencontrez est comme morte, ses yeux sont des crevasses, sa chair est putréfiée, ses os sont craquants et... »



Il fut interrompu par le coup que lui portait la jeune femme. Alors qu'il divaguait, elle avait bondi sur lui pour lui abattre le poing sur la mâchoire. « Je suis donc morte pour vous ? Lui hurla-t-elle. »
Surpris, il répondit par des bégaiements, alors qu'elle lâchait son col, lui tournant le dos pour se passer la main dans les cheveux. Elle prit une profonde inspiration. Elle n'avait jamais levé la main sur un patient. Doucement, elle se retourna pour s'excuser mais... il n'était plus là. A la place de ce salon Louis XVI, il n'existait plus que des miasmes brunâtres de sang où baignaient tout mêlés chair et os.



Le psychologue entra alors dans la pièce, consultant son dossier et leva le regard vers elle :
« Asseyez-vous. Je suis là pour vous écoutez, êtes-vous enfin prête à m'expliquer ce qu'il vous est arrivé ? »

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